La Berlinale 2022, honneur aux femmes

Il est frappant de constater que presque la quasi totalité des films de la sélection « Panorama » mettent ainsi en valeur des femmes confrontées aux réalités de la vie quotidienne ou à l'inouï de circonstances exceptionnelles. Et lorsque les femmes ne sont pas protagonistes à proprement parler, c'est encore autour de thématiques genrées que les films nous interrogent comme, par exemple, Concerned Citizen de Idan Haguel. Dans ce film, qui pour se dérouler à Tel Aviv, pourrait aussi bien se dérouler à Copenhague, Paris ou Berlin, les problématiques de l'immigration et des mères porteuses se croisent au détour d'une simple question de survie d'un arbre planté dans la rue. C'est entre autre la question de savoir dans quel monde, ou dans quelle société, nous voulons faire naître nos enfants qui se pose pour le couple formé de deux jeunes homosexuels,  Ben et Raz, occupés à faire leur choix parmi un panel de femmes, les unes devant fournir un « œuf », les autres devant porter le fœtus.


Car, en parlant de femmes, c'est aussi beaucoup de bébés, nés ou à naître, que cette Berlinale nous aura montré. Que toute la vie tourne autour d'eux comme dans Cinco Lobitos/Lullaby de Alauda Ruiz de Azúa, qu'ils soient enlevés à leur mère comme le terrible Produkty 24/Convenience Store, film choc de Michael Borodin, révélateur de l'absurdité de la société dans Kdyby radši Hořelo/Somewhere Over the Chemtrails de Adam Koloman Rybansky, à cacher dans le très beau film de Ali Asgari, Ta Farda/Until Tomorrow ou littéralement libérateur et annonciateur d'un avenir qui, pour être rattrapé aujourd'hui par la guerre en Ukraïne, et malgré tout le tragique de la situation, est une véritable espérance dans Klondike, de Maryna Er Gorbach, par ailleurs prix œcuménique 2022 dans la sélection « Panorama ». Et lorsque les enfants sont grands, les problèmes le deviennent également comme en atteste l'extraordinaire Berdreymi/Beautiful Beings de Guđmundur Arnar Guđmundsson ou The Apartment with Two Women de Kim Se-in.


Une Berlinale féminine ou féministe ?

Cette insistance sur la féminité lors de la Berlinale s'accompagne bien sûr d'un discours politique au cœur de la compétition où là aussi les femmes ont été des héroïnes héroïques dans le quotidien. Sur les dix-huit films en compétition officielle, seuls Leonora Addio, de Paolo Taviani et   Everything will be ok de Rithy Panh n'ont pas mis en scène des vies de couple, de famille ou les interrogations existentielles de femmes dans leurs rôles souvent difficiles à concilier de fille, de mère, d'épouses, de maîtresse, d'amante ou tout simplement d'individu. À tel point que l'on peut effectivement se demander si les femmes au cinéma peuvent ou non être considérées d'un point de vue universel ou si elles doivent uniquement être mises en scène par le filtre de situations caractéristiques de la condition féminine.


La Berlinale a fait le choix de présenter des femmes fortes et affirmées dans toutes les situations, que ce soit sur des thématiques genrées ou face à l'histoire, alors que les hommes sont constamment en proie au doute et à la fragilité, dans l'incertitude quant à leur virilité, leur position sociale, leur courage ou leur loyauté. L'un des seuls personnages masculin positif de la compétition aura ainsi été Ma dans Yin Ru Chen Yan/Return to Dust de Li Ruijun, un fermier esseulé dans la campagne chinoise de nos jours. Son mariage arrangé avec Guiying, jeune femme handicapée, sera l'occasion pour lui de se révéler tendre et attentionné, courageux et volontaire. Mais comme le suggère déjà le titre, son destin est pour lui aussi de retourner à la poussière.

Dans ce contexte, le prix œcuménique pour la compétition qui est allé à Un año, una noche/One Year, One Night de Isaki Lacuesta a une saveur particulière en ce qu'il montre lui aussi un couple, confronté à l'horreur des attentats à Paris en novembre 2015. Mais Céline et Ramon, les deux protagonistes, y ont la même fragilité, les mêmes questions, les mêmes peurs et si ils y répondent différemment, ces différences sont justement ce qui leur permet, en restaurant leur relation, de retrouver goût et sens à la vie en répondant à la haine, non par un désir de violence ou de vengeance mais par un surcroît d'amour partagé entre eux et avec leur entourage.

Une Berlinale de renaissance

Se déroulant dans une atmosphère étrange, entre l'optimisme de la fin espérée de la pandémie de Sars-Cov 2 et le pessimisme craignant le début redouté de l'invasion russe en Ukraine, la 72e Berlinale a cependant relevé le défi d'une sorte de normalité. Sans fête ni cérémonies, avec des conditions de sécurité sanitaire rassurantes pour tout le monde, le Festival aura marqué le retour d'un cinéma qui rencontre son public, l'interroge et lui raconte toutes les contradictions du monde moderne.

La Berlinale aura ainsi montré un monde, notre monde, qui souffre de multiples manières, que ce soit par la violence et le cynisme, par l'indifférence ou le fanatisme, par l'exploitation ou la misère mais aura aussi marqué le refus de la résignation. Car il n'y avait rien d'évident à oser organiser cette Berlinale dans des conditions presque habituelles surtout à Berlin où le festival a la particularité de se dérouler dans plusieurs cinémas dans toute la ville et d'insister sur la présence du public hors festivaliers accrédités. Et c'est là, outre la qualité des sélections proposées, que se trouve la principale réussite de cette 72e Berlinale, dans ces retrouvailles avec le public.


Une forme de normalité qui s'avère d'autant plus essentielle aujourd'hui que l'Europe a basculé dans une ère nouvelle. Au-delà des qualités cinématographiques indéniable du film de Maryna Er Gorbach, Klondike, le choix de notre Jury œcuménique est aussi un choix politique que d'affirmer le droit d'un peuple, le peuple ukrainien, qui, comme Irka l’héroïne, ne demande rien d'autre que de pouvoir vivre librement sur sa propre terre. Notre prix est aussi un prix pour l'esprit de résistance manifesté par ce film, une résistance au nom de la vie que l'on espère plus forte que tout, même que la guerre et la mort.

Pour le Jury œcuménique de la Berlinale 2022, section Panorama,

Roland Kauffmann