Au Festival de Cannes le Jury œcuménique récompense Xavier Dolan

Les critiques des journalistes spécialisés, surtout celles d'outre-Atlantique, avaient accueilli très fraîchement la projection du film de Xavier Dolan, Juste la fin du monde. Il y est question de « rôles peu authentiques » imposés à des acteurs exceptionnels, et même de « déception ». Seuls Le Monde et Télérama s'étaient montrés enthousiastes. Aussi le Jury œcuménique a-t-il provoqué la surprise en choisissant de lui attribuer son Prix.

Les Mentions spéciales à Moi, Daniel Blake de Ken Loach et American Honey d'Andrea Arnold ont été aussi commentées avec étonnement. Mais lorsque, le lendemain, le Jury du Festival a attribué aux trois mêmes films ses plus hautes récompenses la question s'est posée : le festival est-il devenu humaniste ou bien le jury œcuménique est-il devenu 'paillettes' ?

Il n'est pas du tout dans les buts du Jury œcuménique de récompenser un film chrétien, comme le croyaient certains journalistes. Il s'agit de repérer les valeurs spirituelles sous-jacentes dans les films grand public. Un certain nombre de critères nous aide dans nos choix, en particulier une exigence de qualité cinématographique pour que les films primés aient une très large audience.

Juste la fin du monde est un film grinçant au premier abord. Tiré d'une pièce de théâtre de Jean-Luc Lagarce, il rappelle l'épidémie de sida qui a frappé la communauté des homosexuels en 1995. Louis,  qui a quitté les siens depuis seize ans, revient « dire, seulement dire‚ ma mort prochaine et irrémédiable‚ l’annoncer moi-même‚ en être l’unique messager. » Ce courage en face des siens pour les aider à accepter sa disparition va être supplanté par un autre courage, celui de se taire devant les révoltes, les cris, la douleur que ses proches expriment pour éviter précisément d'entendre ce qu'ils craignent d'apprendre. Cet amour déchiré que chacun lui porte se trouve dans les paroles excessives échangées entre eux alors que l'amour de Louis pour les siens se dévoile dans son écoute, son calme détachement comme si la conscience de sa mort prochaine le plaçait déjà dans un au-delà qui le protégeait.

Ken Loach, dans Moi, Daniel Blake se révolte, lui, contre la situation sociale en Grande Bretagne à la suite de mesures restreignant l'attribution des aides gouvernementales aux plus démunis. Son film, suivant en parallèle un homme âgé et malade et une famille monoparentale sans ressources, est engagé et virulent comme ses paroles à la réception de la Palme d'Or qui l'a couronné : « Ce monde dans lequel nous vivons se trouve dans une situation dangereuse » le néo-libéralisme « risque de nous amener à la catastrophe », « un autre monde est possible et même nécessaire. »

L'alerte d'Andrea Arnold dans American Honey vise la difficulté des jeunes sans formation pour trouver un emploi décent. Le décor en est les Etats-Unis mais tous les continents traversent les mêmes difficultés. Un groupe de jeunes garçons et filles parcourt les routes en vendant des abonnements, coachés par une organisatrice sans états d'âme. Toutes les méthodes sont bonnes pourvu qu'elles rapportent. Un siècle et demi après Charles Dickens les situations n'ont guère évolué mais les victimes sont de jeunes adultes qui expriment différemment leur souffrance : la musique assourdissante, les cris, les jeux, la drogue. La fraternité qui les lie se retrouve dans les modestes cadeaux d'anniversaire, la compassion, leur amour pour les animaux qu'ils croisent ou adoptent. Une image du film dépeint parfaitement leur situation : un vieux néon sale où les insectes viennent se brûler.

Constat réaliste d'un monde en crise, famille, société, jeunesse, les films de Cannes évoluent à la recherche de nouvelles directions.

 

Nicole Vercueil

Membre du Jury œcuménique

 

Voir aussi sur le site de Pro-Fil la liste de tous les commentaires de l'équipe des rédacteurs du jury oecuménique sur les films du festival