Le 30e FIFF rend hommage aux femmes

Réflexions des deux membres féminins du jury œcuménique au FIFF 2016

Prix pour “Alias Maria” de José Luis Rugeles (Colombie/Argentine/France, 2015)

I.

Il fallait avoir le cœur bien accroché pour visionner les 13 longs métrages en compétition du 12 au 19 mars à Fribourg, en Suisse. Suivant le thème choisi par le festival, qui avait décidé pour sa 30e édition de faire honneur au genre féminin, huit de ces films dressent le portrait de femmes luttant pour survivre dans un milieu hostile, pour défendre leurs droits et leurs familles.

Ces femmes sont seules: célibataires, veuves, délaissées par un mari malade ou absent. Elles se battent contre l'administration,  contre les règles d'une religion ou d'une société patriarcale. Dans la plupart des cas, elles ne trouvent pas d'autre issue en dernier recours que la violence ou la résignation.

Dans « Mountain » (le Mont des oliviers), la réalisatrice israélienne Yaelle Kayam choisit le poison pour résoudre le problème existentiel de Zvia, une juive orthodoxe qui vit à côté d'un cimetière. Autre exemple : pour essayer de sauver son mari malade, Sonia prend les armes dans le film  « A Monster with a thousand heads » du Mexicain Rodrigo Pla.

La communication est quasi inexistante entre hommes et femmes : ce sont des rapports de pouvoir et de domination. Même si beaucoup de ces films  ont un titre à connotation religieuse, ils  laissent entrevoir peu d'espérance. Est-ce le reflet du monde actuel que les réalisateurs veulent nous présenter dans leurs œuvres, néanmoins  de grande qualité artistique ?

Deux films font exception: « Madonna » de la Sud-coréenne Shin Su-won et « Alias Maria » du Colombien José Luis Rugeles (prix du jury œcuménique). Malgré la violence ambiante due à la guerre ou à la société, les femmes choisissent de défendre la vie au prix d'un cheminement douloureux. Elles désobéissent à l'ordre établi et réussissent à imposer leur volonté. Des portraits poignants d'où jaillit une lumière dans cet univers cinématographique par ailleurs très sombre.

Laure Speziali, Genève

II.

En filmant de manière très documentée un commando de la guérilla colombienne, le réalisateur nous plonge au cœur de la jungle, dans un suspense sans faille où la naissance d’un bébé va enrayer la mécanique de guerre. A travers Maria, fille-soldat découvrant la maternité, le film pose ainsi la question du choix de la liberté, du combat pour la vie et de l’émergence de la solidarité.

Dès le commencement, la vie apparait comme une promesse, mais déjà accompagnée des souffrances de l’enfantement et de la menace de son risque d’éradication. Car au sein de la guérilla colombienne, les femmes-soldats n’ont pas le droit de garder leur enfant, sauf la compagne du commandant. Et si la mécanique de guerre leur attribue un homme, c’est bien évidemment plus pour satisfaire ses besoins que dans la perspective d’une reproduction : « On ne va quand même pas peupler cette jungle de bébés ». Tout est parfaitement organisé en ce sens, contraception ou avortements à la chaine.

Quand la jeune Maria, 13 ans, est envoyée en mission pour mettre à l’abri le fils du commandant, elle sait déjà qu’elle est enceinte mais n’a pas eu le temps de « s’en débarrasser ». Chargée de porter le nouveau-né, c’est à travers le contact des corps qu’elle découvre la maternité. Caresses apaisantes, allaitement furtif, chansons murmurées tranchent avec la violence des combats et la difficulté d’avancer au cœur d’une nature hostile et menaçante.

Filmée le plus souvent en gros plan, Maria (Karen Torres, actrice non professionnelle) passe ainsi avec une grande justesse et uniquement à travers son visage et ses regards, de la détermination et la force à la douceur et l’émotion. Choisie après un casting de plusieurs centaines de jeunes, elle incarne parfaitement ces enfants devenus adultes trop vite et que la guerre a privé de leur adolescence. Et c’est dans une très belle scène, véritable tournant du film, qu’en se réappropriant sa féminité elle découvre en même temps la solidarité.

José Luis Rugeles filme avec une juste économie de dialogues et de paroles, l’irruption de la vie dans un contexte de mort, à l’image de cette lumière qui parvient à filtrer à travers l’épais feuillage de la jungle. Tourné à partir d’une large base documentaire, Alias Maria n’élude pas l’horreur des crimes ni le faible prix d’un homme quand il n’est pas soldat, et nous expose la réalité sociale des villages pris dans le feu de la guerre civile. Mais en choisissant la liberté, Maria prône le courage, la vie, la compassion.

Valérie de Marnhac, Paris